mardi 3 juin 2014

Ah, LA réforme territoriale. Quel merveilleux appeau à trolls ...


Croire que créer 14 grandes régions au lieu de 22 moyennes va améliorer l'efficacité de l'action publique ou engendrer des économies d'argent public relève, au choix, de la naïveté, ou du foutage de gueule assumé. 

Bien sûr, il faut attendre l'intégralité des textes de la réforme, demain, pour se faire une idée préciser de ce qui changera vraiment. Je serai peut être agréablement surpris. Mais n'ayons pas trop d'espoir. 

Qu'il y ait 15, 20 ou 30 régions n'importe que peu. "ah, mais si, il n'y aura que 14 directions des RH au lieu de 22, la mutualisation des backs offices fera des économies, etc..." - Evacuons tout de suite cet argument à la petite semaine: pour gérer les RH d'une région plus grande, il y aura un bureau des RH plus gros, parce que les gains de productivité et l'administration, cela fait deux. Et surtout, lorsque deux régions fusionneront, les primes des agents de ces régions seront alignés en quelques années sur la région la mieux payée, les syndicats y veilleront jalousement. Et de toute façon, les dépenses de fonctionnement des régions sont massivement constituées de subventions à des tiers, publics ou privés, et pas de dépenses de personnel, moins de 5% de leur budget. Ce n'est donc pas là que pourraient se trouver les fameuses économies dont on peine à identifier où se trouvent les milliards annoncés. 

Le problème, dont je parie que la réforme ne l'adressera pas, est que la région n'est, aujourd'hui, qu'un gigantesque tiroir caisse, ou vont puiser communes, communautés de communes, associations, entreprises privées de secteurs "dans le vent", c'est le cas de le dire, sans oublier la SNCF et quelques autres parasites institutionnels dont la liste serait trop longue à énumérer ici. Pire encore, les régions deviennent depuis cette année autorité de gestion des fonds structurels européens: à partir d'un programme vaguement négocié avec d'obscurs bureaucrates de Bruxelles, les présidents de conseils régionaux peuvent actionner des robinets à subvention encore plus nombreux, encore plus nourris. 

Faire des régions plus grandes permettra aux présidents de région d'arroser plus large, point final. A plus grosses régions, conneries plus grosses. Poussons le raisonnement à l'absurde: si on ne faisait qu'une région, qu'on appellerait "état" pour simplifier, elle ferait des conneries encore plus monstrueuses. Ouf, ce n'est pas le cas, tout le monde le sait... #OhWait

Et d'ailleurs, la région sera confirmée dans son rôle de "chef de file en matière de développement économique", par rapport au département, ou aux communes. Donc, au lieu que les chambres d'hôte "participant au maintien des écosystèmes" soient subventionnées par un fonctionnaire d'un département pauvre, elles seront connectées aux fonctionnaires d'une région riche. Et je ne vous parle pas des propriétaires de parcs éoliens, ou des dérouleurs de fibre optique, des entrepôts d'amazon ou des lignes aériennes de Ryanair. 

Bien sûr, si vous habitez Nogent le Rotrou (28), au lieu de devoir aller chercher votre obole à Chartres, voire, contrainte suprême, à Orléans, vous devrez désormais condescendre à un détour jusqu'à Poitiers: bonne raison pour demander plus. Mais franchement, ça change quoi ? 

Le problème en France n'est pas d'avoir des grosses régions pour financer des projets plus gros, ce n'est pas d'avoir des mini-états pour ajouter une couche de gaspillages à ceux du grand frère, ou de remplacer 100 petits gaspillages départementaux par 14 déconnages régionaux. Le problème est de retirer définitivement des dizaines d'attributions (abusivement appelées "compétences" par les politiques, terme oxymoronique en l'espèce) de la sphère publique pour les donner au secteur privé, retrouver de la concurrence et de l'efficacité là ou règnent syndicalisme, bureaucratie et gabégies. "La meilleure politique économique, c'est de ne pas en avoir du tout", comme disant Margaret Thatcher, qui avait assurément oublié d'être conne, à en juger par ses résultats. 

Bon, allez, regrouper collèges (actuellement aux départements) et lycées (régions), voire universités (état) au sein des régions peut avoir quelques effets bénéfiques en terme de cohérence. Mais, outre que les enseignants resteront stipendiés par l'éducation nationale et contraints de suivre les fabuleux programmes et autres lubies réformatrices nées dans d'obscurs bureaux de la rue de Grenelle, cela n'aura aucune influence ni sur le coût global de l'éducation, ni sur la qualité de l'éducation prodiguée. Seule une vraie réforme de l'éducation, à la scandinave, basée sur l'attribution d'un chèque éducation aux familles (en lieu et place du budget du ministère) et la concurrence entre les écoles pour attirer les élèves, couplée à une véritable concurrence entre méthodes pédagogiques, et une véritable autonomie des chefs d'établissement pour recruter ou licencier leur personnel, y compris enseignant, aurait la moindre chance de sortir l'école française de son marasme actuel. Voyez vous poindre une probabilité d'une telle réforme dans le regroupement de 22 régions à 14 ? Moi, pas. 

Peut être qu'unifier transports par cars (départements) et par train (les TER sont co-gérés par les régions) permettra, à la marge, d'améliorer quelques circuits. Mais où est la vraie réforme structurelle des transports ? La fin des subventions cachées à la SNCF, l'obligation de faire payer aux usagers l'intégralité des coûts du transports, la fermeture des lignes désertes, la fin des décrets de 1934 interdisant aux transporteurs privés de faire concurrence à la SNCF par bus ? 

Et le social ? Aujourd'hui géré par les départements, pour plus de la moitié selon des modalités fixées ne varietur par l'état (RSA, personnes handicapées, etc), il serait transféré aux "CCAS" des communes/Intercommunalités, et en partie recentralisé à l'état. Ah ? Mais quelle autonomie du choix des méthodes d'intervention pour les entités héritant du paquet cadeau ? Quelle latitude pour transférer à la société civile tout ce que le secteur public fait mal en la matière ?

Sauf divine bonne surprise dans les textes à paraître demain, aucune de ces questions ne recevra de réponse. En effet, les textes étant étudiés à la va-vite, ils éviteront soigneusement les questions trop profondes. 

Je continue, au risque de paraître ennuyeux. L'un des problèmes des collectivités locales aujourd'hui est qu'elles dépendent un peu de leurs rentrées fiscales, lesquelles proviennent d'un système de taxes illisibles, et beaucoup de "dotations" (peu ou prou: des subventions, quand bien même le juriste pinaillera sur ma traduction "bureaucrate => Français") provenant de l'échelon supérieur. Je me souviens d'avoir entendu le maire d'une commune de 5000 habitants avoir sollicité plus de 7 sources de financements, y compris Bercy (!), pour refaire en pavés sa place de village, et que donc "le contribuable de la ville de trucmuche n'avait presque rien payé". Avec des raisonnements pareils, on n'est pas arrivés. Pendant que les habitants de trucmuche recevaient des subsides de la France entière pour leur mobilier urbain design, ils payaient, en tant que contribuable départemental, régional, national, et en tant que payeur de nombreuses microtaxes "affectées à des budgets spécifiques", le mobilier urbain et les pavés de dizaines d'autres villes du département et d'ailleurs. Quand on dissimule le coût réel des choses, les dépenses stupides ne sont jamais très loin. 

Ainsi, les élus, persuadés que "cela ne leur coute pas tout le prix, donc c'est une bonne affaire", financent n'importe quoi. Croyez vous qu'en remplaçant 22 régions par 14, dotées de karchers à thunes à réservoir plus grand, cette tendance à la dépense par déresponsabilisation financière trouvera son remède par les textes qui nous seront présentés ? 

J'espère avoir tort, mais je vous parie d'ores et déjà que non. 

En attendant, ne vous laissez pas distraire par le regroupement régional. C'est juste un piège à gogos pour vous détourner l'attention de réformes autrement plus importantes. 


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