mardi 13 août 2013

Le libéralisme est-il une opinion?

Guy Sorman
Avec quelques semaines de retard, je découvre chez mon libraire de Thiberville dans l'Eure, un nouveau quotidien : L'Opinion. À ma décharge, j'étais ailleurs, prenant la direction d'un mensuel basé à New York, France-Amérique, le seul groupe de presse en langue française publié (depuis 1943) aux États-Unis.
Pour en revenir à ce journal, et sans doute trop influencé par la fréquentation de la presse étrangère, il me paraît que L'Opinion ne pourrait être qu'un journal français : la presse française n'est-elle pas toute entière d'opinion, plus portée au commentaire qu'à l'information ? Tous les journaux français ne devraient-ils pas, par honnêteté, adopter comme sous-titre "C'est mon opinion et je la partage" ? L'Opinion est donc un projet honnête puisque ses créateurs confessent d'emblée qu'il s'agira moins d'informer que d'orienter.
Pari économique audacieux aussi puisque, en regardant en France et hors de France, la presse écrite qui survit, seuls les journaux à contenu dense conservent leurs lecteurs : par exemple, L'Hebdo en Suisse, ABC en Espagne, le New York Times, Die Zeit en Allemagne, Le Parisien. La presse de commentaire est la plus menacée parce qu'elle est la plus directement exposée à la concurrence des blogs et des agrégats de blogs comme Hufftington Post. Se porte bien aussi la presse dite spécialisée qui produit des informations irremplaçables pour une clientèle de niche, La Lettre du Maire, par exemple.
Mais revenons-en à L'Opinion et ce qui devrait le distinguer : son orientation idéologique. Ce journal est "libéral, pro-business et pro-européen" : sic. Ce positionnement, dont on suppose qu'il fut dicté par des experts en marketing, laisse perplexe. Le libéralisme ne serait donc qu'une opinion ? Turgot, Jean-Baptiste Say, Tocqueville, Jacques Rueff, Bertrand de Jouvenel, Raymond Boudon, François Furet, Jean-François Revel - sans mentionner les Adam Smith, Hayek, Popper, Milton Friedman - doivent se retourner dans leur tombe. Leur œuvre entière, leur combat, ce fut d'expliquer le libéralisme comme analyse des faits, une réalité historique, sociale, économique et surtout pas comme une opinion. Imagine-t-on un seul de ces auteurs commencer une phrase par "Moi, je pense que…". S'appeler L'Opinion et se dire libéral est un peu un oxymore.

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