mercredi 3 avril 2013

Le libéral qui ramait à contre-courant


Gaspard Koenig, 30 ans, est un garçon courageux. Sourire sympathique, allure dégingandée d'éternel étudiant, mais ton tranchant du banquier performant... Le Français, expatrié modèle jusqu'au bout de ses Church's aussi bien cirées qu'un parquet de Buckingham Palace, est le poisson pilote d'un nouveau think tank libéral au nom certes abscons, mais peu ambigu, Generation libre-Alternative France Europe. 


Une majorité de jeunes financiers français de la City ont assisté, mercredi 27 mars, à l'Imperial College, au lancement de cet ambitieux projet. Ils étaient aisément reconnaissables à cette extraordinaire capacité d'écouter la présentation tout en pianotant continuellement sur leur iPhone sans avoir l'air d'être mal élevés. Tout un art.

"Etre libéral, c'est croire dans l'économie de marché et la responsabilité individuelle." Cette proclamation va comme un gant à ce normalien agrégé de philo qui travaillait jusqu'en janvier à la Banque européenne de reconstruction et de développement. En outre, du plus loin qu'il se souvienne, le promoteur de cette nouvelle instance de réflexion française, installée au Royaume-Uni et dans l'Hexagone, mais à vocation internationale, a toujours été un libéral pur et dur.
S'il s'est présenté, sans succès, aux législatives de juin 2012, dans la troisième circonscription des Français de l'étranger, pour le Parti libéral-démocrate, le défenseur de cette grande cause affirme que son think tank est apolitique. "Il y a des libéraux à droite comme à gauche", dit-il.

Gaspard Koenig entend toutefois s'inspirer du Centre for Policy Research,  fondé dans les années 1970 par Sir Keith Joseph, qui fut le mentor des pires excès du tout-thatchérisme. Parmi ses soutiens figurent deux inévitables thuriféraires du libéralisme anglo-saxon en France : l'écrivain-journaliste Guy Sorman et Sophie Pedder, correspondante de l'hebdomadaire britannique libéral The Economist à Paris. A l'inverse des publications de l'Institut Montaigne, autre think tank libéral, jugées trop consensuelles, les rapports de Generationlibre - une dizaine par an - se voudront "provocateurs".

Sabre au clair, sus à l'Etat ! S'il doit encore trouver des fonds, des contributeurs, des bureaux et des traducteurs, Koenig est persuadé que l'Europe a mis sa montre à l'heure libérale.

Il est toutefois permis d'émettre un sérieux doute sur la justesse de son analyse. N'en déplaise au Cercle d'outre-Manche, organisation elle aussi libérale formée d'entrepreneurs français d'exception installés au Royaume-Uni, le modèle britannique est périmé. Le pays traverse une grosse tourmente économique. La croissance est nulle, l'inflation est élevée et la politique d'austérité draconienne n'a eu aucun effet. Le dernier rapport du Cercle sur l'immigration (Le Monde daté 12 mars) aurait dû être écrit il y a trois ans. Aujourd'hui, avec la crise, la montée de la xénophobie et du parti anti-immigration UKIP, l'heure est au serrage de vis. Le document vante les vertus de l'immigration sélective, un mot tabou à Londres ces jours-ci.

Quant à l'armée d'avocats, de fiscalistes et d'agents immobiliers londoniens mobilisés pour aider les candidats français à la cavale à s'installer dans un pays qui leur "déroulera le tapis rouge" (dixit le premier ministre, David Cameron), ils minimisent volontiers les nuages qui assombrissent l'horizon de leurs clients. Le retour aux affaires du Labour, parti frère du PS, lors des élections générales qui auront lieu au plus tard à la mi-2015, est une sérieuse possibilité. Par ailleurs, la victoire probable du oui, à la lumière des sondages actuels, lors du référendum devant être organisé d'ici à 2017 sur une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, a de quoi donner des sueurs froides à tous ceux qui sont allergiques à la rose rouge.

Même le Financial Times, défenseur du libre marché s'il en est, regrette "la mort étrange d'une Grande-Bretagne qui était libérale". Le quotidien aux pages saumon montre du doigt la limitation prévue de l'accès aux droits sociaux pour les immigrés de l'Union européenne (Le Monde du 27 mars) ou le contrôle imposé par Bruxelles sur les bonus des banquiers. On pourrait ajouter à cette liste noire la disparition de la Financial Services Authority, le régulateur laxiste de la City, et le transfert, le 1er avril, de ses compétences à la Banque d'Angleterre, de nature plus interventionniste.
Paradoxalement, le libéralisme gagne du terrain en matière sociétale. La promulgation du mariage homosexuel, passée comme une lettre à la poste à la Chambre des communes, et la fin de la primauté masculine à la succession au trône d'Angleterre en témoignent.

Plus inquiétant pour Gaspard Koenig, on ne compte plus les repentis ou défroqués coupables de l'horrible crime de lèse-libéralisme. Le dernier en date est l'Américain Larry Summers, ancien secrétaire au Trésor de Bill Clinton, qui avait été à l'avant-garde du mouvement de dérégulation des marchés aux Etats-Unis. De passage à Londres, l'ex-conseiller économique de Barack Obama a déclaré à propos du Royaume-Uni que "les résultats de la politique d'austérité à ce stade ne sont pas très encourageants pour justifier cette stratégie de réduction des dépenses publiques".
Le verdict de ce champion du libéralisme débridé, en grande partie responsable de la crise financière de 2008, est implacable. Koenig sait-il qu'il rame à contre-courant ? That is the question...

roche@lemonde.fr


http://www.generationlibre.eu/


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